Kongo : Gravity, 2014. Technique mixte sur toile,100 cm x 200. Kongo’s world studio.
La galerie Matignon présente jusqu’au 17 mai 2014, une sélection des oeuvres récentes d’une figure majeure de l’art graffiti international: Kongo. Vitalité artistique et vie mouvementée.
Du Vietnam à New York
La vie de Kongo pourrait faire un scénario de film tout à fait acceptable. Cyril Phan, son vrai nom, est né à Toulouse en 1969, d’une mère française et d’un père vietnamien. Il passe son enfance au Vietnam. Après la chute de Saigon, pris par les communistes en avril 1975, sa mère le confie à deux yougoslaves pour lui faire passer la frontière. Plus tard, lorsqu’il a 14 ans, sa mère l’emmène vivre à Brazzaville, en République du Congo. Il y reste quatre ans. De là lui vient son nom d’artiste, car c’est là qu’il a son premier déclic artistique, à la vue de photos de graffs américains que des copains de collège lui montrent, après leurs vacances aux USA Il revient en France à 18 ans et commence à se débrouiller dans la “jungle” de la région parisienne. Il s’impose avec ses poings parfois, mais surtout avec son talent. Il commence par quelques tags et graffs en 1986 à Paris. Il ne connaît pas le marché de l’art. Kongo bombe, comprenez qu’il utilise des aérosols depuis les années 80. Il squatte un peu, il récupère quelques vieilles toiles aussi. Il devient membre du collectif de graffeurs français Mac Crew et travaille avec eux (Mac = mort aux cons). En 1991, il réalise deux toiles sur l’esplanade du Centre Pompidou. Deux ans plus tard, il peint 8 tableaux pour le couturier Paco Rabanne. Elles sont exposées aux Galeries Lafayette. En 1995, il travaille avec les graffeurs du Bronx à New-York, son dynamisme pictural vient de là. Il devient la marque de fabrique de Kongo.
Kongo : La nuit tous les chats sont gris, 2014. Technique mixte sur toile, 100 cm x 100. Kongo’s world studio.
Revanche
Le premier janvier 2000, il peint une fresque sur les palissades de la Grande Roue des Champs Elysées. Son parcours est déjà étonnant mais ce n’est pas fini. Il expose à Strasbourg, Hong Kong, Tokyo, etc. En 2009, la galerie Dominique Fiat le présente dans le cadre de la Fiac. La même année, il participe à l’exposition qui fera connaître le street art au grand public et aux médias : “Le Tag“, au Grand Palais (collection Gallizia). Deux ans plus tard, la société de luxe Hermès surfe sur la vague du street art et a la bonne idée de reprendre ses toiles pour une collection de carrés baptisée “Graff”. Le succès est immédiat. Il faut dire que, par leur composition, les œuvres de Kongo se prêtent particulièrement bien à l’exercice.
Kongo : Final Cut, 2013. Technique mixte sur toile, 100 cm x 100. Kongo’s world studio.
En quelques années, Cyril Phan est devenu une star dans son domaine. Sa rage de vivre, sa quête identitaire et sa soif de reconnaissance l’ont conduit au sommet. Aujourd’hui, après trois ans d’expositions en Asie, le magicien des bombes colorées, expose à Paris dans la très chic galerie Matignon, à deux pas de l’Elysée. Désormais, le street art fait rêver le “bourgeois” et l’artiste de rue peut réaliser ses rêves. Tout le monde y trouve son compte.
Le style Kongo
Un graff de Kongo est reconnaissable. Dans son travail, on retrouve toujours trois composantes : le dynamisme, le souci de la composition, et l’exubérance des couleurs. Certaines tonalités viennent de la Guadeloupe, où Kongo passe une partie du temps, avec Paris et Hong Kong. Comme beaucoup de street artistes, Kongo utilise le lettrage, mais il comprime ses lettres comme César compressait la matière. Les lettres s’emboîtent entre elles et deviennent une forme à part entière. Dans le tableau Colors of life, c’est encore plus évident.
Kongo : Colors of life, 2013. Technique mixte sur toile, 100 cm x 100. Kongo’s world studio.
Saigon
Il est évident que l’épisode de son départ de Saigon a compté dans sa vie. Il l’évoque dans une toile, où je vois un homme coiffé d’un chapeau qui porte un enfant. Face à eux, à peine perceptible, des fusils. L’homme regarde vers le ciel mais il est rouge sang et les chiffres de l’année 1975 sont très visibles. Je remarque l’influence d’un autre street artiste : Jean-Michel Basquiat. En effet, une multitude de têtes de mort occupent le bas de la toile, où je peux lire “Help all refugees”. Ce tableau est donc un hymne à tous les apatrides, tous les réfugiés.
Kongo : Saigon, avril 1975. 2013, technique mixte sur toile, 200 cm x 200. Kongo’s world studio.
Navarland
Kongo est un rassembleur, il accueille régulièrement des artistes du Street Art, du monde entier. Il nomme son atelier de Bagnolet : “Navarland” (Pays des fous en argo gitan). Mais Navarland est surtout un point de rencontres et de travail en commun pour les graffeurs. Le brassage des cultures, l’internationalisme des idées, Kongo aime ça. Il se nourrit artistiquement des débats sans fin de Navarland, de ses voyages incessants et des bruits des villes. Une toile évoque cet état d’esprit: “Navarland centre du monde”. Sur un fond bleu très profond, un éclair jaune surgit et occupe la partie centrale. Dessus, Kongo a dessiné des cercles et des signes qui pourraient faire penser à des éléments scientifiques, sans oublier l’omniprésent geste spontané à la bombe, en vert. Une belle façon d’évoquer le bouillon de culture “navarlandais”.
Kongo : Navarland es el Centro del Mundo, 2012. Technique mixte sur toile, 300 cm x 200. Kongo’s world studio.
Une envie de préciosité
Toute sa vie, Kongo s’est battu pour la reconnaissance des graffeurs, pour sortir le graffiti de la rue et pour donner une autre image des street artistes. Mais il veut aller encore plus loin, en présentant maintenant ses graffitis comme des objets précieux. Je vois une toile intitulée “Matignon”. C’est un grand carré sur fond or, façon Art déco. A cela, il y a une explication : sa mère habite désormais Prague et il adore Mucha. De plus, un de ses amis est un grand collectionneur d’objets art déco. Ceci explique donc cela. Et c’est encore une façon d’imposer une autre image du graffeur. Conscient que le Street Art restera dans l’Histoire, il tient désormais à présenter ses graffs comme des objets précieux et n’hésite pas à utiliser l’or. C’est une très belle toile où de vraies fausses lettres tourbillonnent dans un carré rouge. Comme d’autres street artistes passés à la toile, ses œuvres sur châssis actuelles sont plus construites, peut-être plus sages, mais heureusement, la vitalité exceptionnelle de Kongo est toujours là.
Kongo : Matignon, 2013. Technique mixte sur toile, 100 cm x 100. Kongo’s world studio.
Le gamin du 93 expose donc à deux pas de l’Elysée, un clin d’œil, une provocation, mais surtout une rencontre humaine avec le directeur de la galerie, un exilé lui aussi…
Un coup de pied au cul ?
Dans cette exposition, une œuvre me surprend : une sculpture. En fait, c’est une botte féminine en serpent, dont Kongo a peint la semelle et la peinture coule légèrement sur le talon. Une idée à suivre pour les chausseurs ? Kongo se moque gentiment du quartier où il expose. Ces magasins très chics, qui vendent une fortune une paire de bottes que des femmes très bling bling achètent pour s’occuper quelques temps et céder à un caprice consumériste. Ce monde du grand luxe, très proche du marché de l’art, mais parfois si loin de l’Art.
Kongo : C m’a tuer, 2014, botte en python Louboutin et acrilique montée sur socle d’acier brossé, couvercle en plexiglas. 150 cm x 40 X 40. Galerie Matignon.
Points communs
Cette sélection d’œuvres récentes de Kongo, peintures sur toiles, œuvres sur plexiglas, plaques émaillées de métro méritent le détour.
Kongo : Sur la ligne 3, 2014. Technique mixte sur plaque émaillée, 107 cm x 114 x 5. Galerie Matignon.
Kongo est passé du 93 au VIIIe arrondissement sans jamais perdre, ni son style, ni sa curiosité, ni son envie d’apprendre des autres. Lors d’une conversation au téléphone, il me confirme que, plus jeune, il aimait fréquenter les musées et que son grand père “serait Claude Monet car les impressionnistes peignaient dehors avec une formidable envie et osaient la couleur”. Les graffeurs suiveurs logiques des impressionnistes et des fauves? L’idée est séduisante. Méprisés au début, adulés à la fin, les deux travaillent en extérieur, s’inspirent directement de la rue et cultivent leur liberté. Finalement l’Histoire de l’Art aurait sa cohérence. Tout va bien.
Galerie Matignon : 18 Av Matignon. 75008 Paris.
Lundi au samedi : 10h – 13h / 14h30 – 19h.
Thierry Haÿ, journaliste culturel et critique d’art France info. ( Culturebox- Francetvinfo)
[L’artiste peintre-graffiti (Street Artiste) Kongo Cyril Phan est le fils aîné du Professeur PhanVanSong, JD (Note de Việt Thức)]