DE LA POÉSIE
Parler de la poésie, c’est la revivre intensément par les sentiments partagés à son approche. Poésie de coeur, joie et peine, elle s’infiltre dans la vie et celle-ci la dédouble comme la rivière reflète le sourire, et l’haleine se dilue aux vagues évanescentes.
Par la poésie, l’océan change de couleurs, mystiques, impalpables, dans la vision et l’âme mises en abyme[1] du poète. Ainsi se révèle l’amour, en son langage secret, métamorphosant la poésie en lumière merveilleuse d’aurores atemporelles, antérieures et futures, entre le dernier rayon de soleil et l’étincelle nocturne, quand la nature se fige de silence et que les mots ineffables s’immolent en leur langueur originelle.
La poésie parfois s’avère exigeante. Elle réclame la vie entière et demande que la rivière rejoigne l’océan ou pourquoi l’inspiration se tarit à fleur d’amour. Elle réclame la rosée des nuages et la foi de l’amour humain, au niveau des joies et des douleurs universelles. Elle est le premier cri de vie et la voix de la conscience engagée et celle de la passion intarissable.
Spéculaire et décentrée, la poésie se transforme en symboles et incantations, métaphores et séduction; en miel et épices, tendresse et cruauté; en ivresse immense et dénuement minime. Signifiante, elle est réelle et abstraite, inondée de signes et d’absences, de liens et d’écarts. Le poète s’éprend des mots à fleur de vie, entière et inachevée, à dimensions multiples, à mi-chemin entre l’absolu et le relatif.
La poésie se fait corporelle, en même temps élan de vie. Elle est galanterie amoureuse et turbulence enfantine, comme le sang qui coule et la peau qui se déchire. Elle lutte pour sa propre existence, spirituellement puissante lorsque extraordinaire, mais aussitôt anémique car incapable d’ordre et de calcul réels. Périssable dans sa propre immortalité de création et de légende, elle existe et périt en dehors des conventions sociales, au-delà des formalités académiques. La poésie flotte à fleur d’eau et se noie dans ses propres vagues qui se creusent en abysses, au sein même de chaque cellule existentielle, gouttelette d’amour, ou larme vécue.
La poésie s’assume en questions ouvertes, sans en pouvoir donner de réponse directe, ni d’interprétation satisfaisante. Vague, sans limite, elle s’exprime pour se recomposer en devise occulte et déjà prophétique:
si toutes les rivières sont douces
d’où vient le sel de l’océan ?
if all rivers are sweet
where does the sea get its salt ?[2]
La poésie et sa signification béante parfois se tendent la main pour révéler un pacte écrit à l’encre sympathique, d’intimité voilée d’innocence scrupuleuse, ou de sagesse branlante, comme une réalité multiple aux termes de sa propre déconstruction:
quelle distance sépare la lune
du clair de lune?
how far is the light of the moon
from the moon? [3]
La parole poétique ainsi se suspend à l’ombre d’un sourire de sable, enfoui dans son propre désert de silence. Elle se dévide parfois de la présence humaine pour se métamorphoser en forêts et fleurs pétrifiées, en racines du ciel ou sources cristallisées. Le poète alors isolé dans son voyage terrestre, muet de terreur et d’angoisse, reprend le chemin de retour à la création originelle, et de là, raccourcit la voie vers l’inconnu et le sacré, dont les bornes indicatrices ont l’allure de météores brillants, ou de pierres précieuses, extraordinaires et caressantes:
quand tu touches la topaze
la topaze te caresse
When you touch topaz
topaz touches you [4]
La poésie a donc son propre univers, celui de l’âme humaine en cours de réincarnation aux confins de la création universelle, à l’encontre des limites de la parole pratique et conventionnelle, par delà la réminiscence des mythes anciens et de l’oubli collectif. La poésie, ouvrant la voie vers l’immensité du vide et vers la foi béante de la quête sans fin, se creuse en profondeurs multiples pour retrouver la source vitale et l’origine du temps et de l’espace. Elle est déjà l’espérance au sein même du désespoir.
La poésie est ainsi l’initiation vers l’essence et la réalité unique de la condition humaine.
Luu Nguyen Đat
[Lời Của Cát — Paroles De Sable]
[2] Pablo Neruda, The Book of Questions, (El libro de las preguntas), Copper Canon Press: Port Towsend, 1991.
3 Comments
Xuan Mai Dang
Cam on Dr. Luu Dat da cho doc mot bai viet rat hay va gia tri.
Kinh, Xuan Mai
Christine Nguyen
“Le poète alors isolé dans son voyage terrestre, muet de terreur et d’angoisse, reprend le chemin de retour à la création originelle,.. ” me fait beaucoup penser à “L’Albatros” de Baudelaire. Vos paroles sont en elles-même de la poésie pure, ayant le pouvoir absolu de suspendre au temps, son vol. Merci pour un moment d’inspiration, Dr. Luu Dat.
LNDat
Je suis en préparation de publier un recueil de poésie bilingue — Paroles de Sable/Lời của Cát —[Été 2014]
Pourrais-je vous en envoyer la morasse pour vous demander une page d’observation/d’introduction. Merci d’avance pour votre commentaire. LNDat