Avant-propos : pour apporter ma modeste contribution à Create Circle, multilingue, de Viêt Thuc Fondation, j’ai traduit en français, en résumant au maximum, mon article écrit en vietnamien en 2011. Si le lecteur veut avoir plus de détails, je l’invite à consulter mon article en vietnamien sur les Forums Viêt Thuc ou Chim Viêt Canh Nam.
En 2011, j’ai reçu d’un ami, une série de belles photos de mets typiques de notre ville natale, Huê. Chaque photo est suivie d’un court poème vantant sa qualité et sa dégustation à des occasions précises. La première photo représente le plat « Cơm Hến » (plat à base de corbicula et de riz refroidi). Viennent ensuite le « Bánh Bèo » (tarte à base de farine de riz, cuite à la vapeur), le « Bánh Nậm » (tarte à base de farine de riz, de forme rectangulaire, cuite à la vapeur et présentée dans une enveloppe de feuille de bananier), le « Bánh Bột Lọc » (tarte à base de farine de manioc, cuite à la vapeur et emballée dans une feuille de bananier). La cinquième photo est celle du « Bánh Phu-Thê » (gâteau sucré à base de farine de d’éléocharis dulcis et que l’on retrouve parfois confectionné à base de farine de manioc. Ce gâteau est garni au centre d’une pâte de haricot mungo, cuit à la vapeur et placé dans un emballage de feuille de palmier, comme le montre la photo). Il est accompagné d’un petit poème vantant les mérites du mariage ! En effet le mot « Phu », prononcé en sino-vietnamien (Hán-Việt) « fou/phou » veut dire « mari » en chinois (夫) et le terme « Thê » , (le Th se prononçant en vietnamien à peu près comme le Th dans Think en anglais) veut dire « épouse ou femme » en chinois (妻).
Ce qui est surprenant et choquant, c’est que d’un point de vue personnel, je n’ai jamais entendu le terme « Bánh Phu-Thê » pour qualifier ce type de gâteau que l’on appelle plutôt le « Bánh SU-SÊ » (prononcé CHOU CHÊ en vietnamien).
J’ai l’honneur d’avoir des liens de parenté avec de grandes personnalités, comme leurs Excellences Ưng-Bình, Ưng-Trình, Tôn-Thất Quảng, Hồ-Đắc Hàm (que j’ai eu l’occasion de côtoyer à Huê avant 1962) et qui furent de grands Mandarins et de grands Lettrés du pays. Je les ai rencontrés lors des visites de politesse, aux jours de l’An (Tết) ou aux temples de nos ancêtres (Kỵ Tổ), mais je ne les ai jamais entendus parler de «Bánh Phu-Thê». De la même manière, que ce soit au sein de notre famille, en ville ou aux temples de nos ancêtres, le terme «Bánh Phu-Thê» n’était jamais employé… En général, les gens de Huê préfèrent utiliser un vocabulaire noble, à belle sonorité, à celui d’un vocabulaire «assez populaire». Par exemple, le mot « Măng-Cụt », était appelé par les gens de Huê «Giáng-Châu». Si les mots «Su-Sê» étaient des dérivés des deux mots «Phu-Thê», alors, j’en aurais entendu parler.
Ce que je viens d’écrire plus haut ne montre certainement pas que les mots «Su-Sê» ne proviennent pas des mots «Phu-Thê». Et peut-être que les personnalités que j’avais rencontrées, employaient ce terme pour qualifier ce gâteau, mais ce qui est sûr c’est qu’elles n’avaient jamais employé ce mot devant moi.
Le gâteau «Su-Sê» est un gâteau sucré très commun et très populaire à Huê, on peut même dire que c’est une spécialité de Huê. Il est composé de farine d’éléocharis dulcis (ou bột Năn en vietnamien), parfois de farine de Manioc, de lait de coco, de fines tranches de coco et en son milieu d’une pâte de haricot mungo sucré. Ce gâteau a une enveloppe de feuille de palmier et est cuit à la vapeur. On le retrouve souvent accompagné d’autres gâteaux aussi communs et populaires que lui, comme le « Bánh Ít-Đen » (gâteau sucré à base de feuille de ramie broyée) ou encore le « Bánh In » (gâteau sec et sucré à base de farine de haricot mungo ou de graines de lotus, moulé et imprimé d’un caractère chinois signifiant « longévité » « Thọ 夀 » ou « gaité » « Hỉ 喜 » stylisé (caractère de Grand Sceau). Ce gâteau est enveloppé dans du papier huilé multicolore. On retrouve ces spécialités dans toutes les grandes occasions comme le Têt, les anniversaires ou encore les jours de « Kỵ »…
C’est par curiosité et pour avoir un peu plus d’informations que j’ai effectué quelques recherches sur Internet. Lorsque l’on tape les deux mots « Su Sê », apparaissent des dizaines voire des centaines d’articles stipulant que «le vrai terme employé autrefois pour nommer ce gâteau était «Phu Thê» et que certaines régions l’avaient déformé en «Su Sê».
J’ai été stupéfait et je me suis mis à lire ces articles des heures entières…
En voici quelques traits essentiels :
«Pour nommer ce gâteau, certains Huêens l’ont transformé en «Su Sê», mais presque la totalité des gens de Huê ont bien utilisé son vrai nom «Phu Thê» (vnnavi.com – Bánh Phu Thê – Theo Văn Hóa nghệ thuật ăn uống) !!!
« Le gâteau Phu Thê représente le lien de fidélité des époux ». « Il est inconcevable qu’il n’existe pas de gâteau « Phu Thê » dans les mariages » (PhunuNet.com. Thêm vào My Wikiphunu) !!! Et pourtant, j’ai assisté à plusieurs mariages à Huê, où il n’y avait pas de gâteau « Su-Sê » (ou Phu-Thê, comme le prétendent les Internautes).
Et enfin on trouve toute une série de balivernes associant ce gâteau à des légendes, à des rois, des reines, des empereurs et des impératrices (Lý Thánh Tông, Ỷ-Lan), voire des articles parlant de philosophie yin-yang !
Tous ces articles sont des « copier/coller », qui diffèrent entre eux par quelques tournures de phrases ou par des ajouts d’idées personnelles et erronées…
Pour essayer d’y voir plus clair et dans la limite de mes connaissances sur ce sujet, j’ai divisé cet article en deux parties :
– La première partie traite de l’existence des noms « Bánh Su-Sê » et « Bánh Phu-Thê » dans la littérature populaire ancienne.
– La deuxième partie parle du dictionnaire d’orthographe vietnamienne, le « Việt Ngữ Chánh Tả Tự Vị – VNCTTV » du Professeur Lê Ngọc Trụ où figurent les termes « Bánh Su-Sê » et « Phu-Thê Bỉnh (sic) ».
1ère partie : L’existence des noms «Bánh Su-Sê» et «Bánh Phu-Thê» dans la littérature populaire ancienne.
I – Dans les dictionnaires anciens.
Pour savoir si les noms « Bánh Su-Sê » ou « Bánh Phu-Thê » figuraient ou non dans la vieille littérature populaire, il fallait consulter d’anciens dictionnaires. Cette consultation permet de connaitre l’ordre chronologique d’apparition de ces trois mots dans la littérature ancienne. J’ai donc consulté les dictionnaires suivants qui ont été écrits en vietnamien primitif, en chinois, en latin ou en démotique sino-vietnamien (chữ Nôm) :
1 – Dictionnaire Annamiticum Lusitanum et Latinum OPE d’ Alexandro de Rhodes, Rome 1651.
Dans ce dictionnaire, je n’ai pas trouvé les termes «Bánh Su-Sê» ou « Bánh Phu-Thê », ni les termes «Su-Sê» ou « Phu-Thê ».
En revanche, j’ai trouvé :
– Le mot « Phu » est traduit par maritus (mari), l’expression « Trượng Phu » est traduit par homem robustus (homme robuste), « Phu » traduit par moço ou moça (jeune garçon, jeune fille), « Kieù Phu » (sic) traduit par lignorum venditor (vendeur de bois), « Xou Phu » traduit par agricola (agriculteur) [page 604] ;
– Le mot « Sê » avec l’expression « Sê cơm » traduit par vide (laver le riz) [page 684] ;
– Le mot « Su » avec les expressions « Su Si » traduit par asper (rugueux) ; « Su Gia ou Suigia (sic) traduit par Socer, Socrus (beau-père, belle-mère) [page 698] ;
– Le mot « Thê » traduit par uxor (épouse) [page 753].
2 – Dictionnaire Anamitico-Latinum de Jean-Louis Taberd. J.C Marshman, 1838.
Dans ce dictionnaire, se trouvent les trois mots « Bánh Sô-Sê », mais les trois mots « Bánh Phu-Thê » n’y figurent pas !
– Il y a le mot « Phu 夫 » qui est traduit par maritus (mari), avec plusieurs expressions : … « Phu thê 夫妻 » traduit par coniuge (époux), « Phu Phụ » (id) (sic)…. [page 410] ;
– Il n’y a pas le mot « Sê » ;
– Il y a le mot « Sô » avec « bánh Sô Sê » traduit par genus placentæ (gâteau de famille) [page 412] ;
– Le mot « Su 㮲 », avec l’expression « Su Si » traduit par rudis (brut) ; « Cây Su » (l’écriture manuscrite dans le dictionnaire n’est pas lisible mais ce terme signifie arbre) [page 471] ;
– « Thê 妻 » traduit par uxor (épouse), avec quelques expressions « Phu Thê » traduit par conjuges (les époux), « Thê Noa » traduit par uxor et filii (épouse et enfants), « Thê Tử » traduit par uxor et filii (épouse et fils), « Thê Hiền » traduit par uxor fidelis (épouse fidèle), « Thê Thiếp traduit par uxor et concubina (épouse et concubine) (page 516].
3 – Dictionnaire Đại Nam Quốc Âm Tự Vi de Huình Tịnh Của. Imprimerie Rey, Curiol & Cie, Saigon 1895.
Dans ce dictionnaire, il n’y a pas les trois termes « Bánh Su-Sê » ou « Bánh Phu-Thê ».
– Il y a le mot « Phu 夫 » ( mari), avec plusieurs expressions : « Trượng Phu », « Đại Phu » (gentilhomme), « Tiều Phu » (bûcheron), « Nông Phu » (salarié agricole), « Dân Phu » (homme de corvée), « Đinh Phu » (sujet majeur), « Trạm Phu » (facteur rural), « Dịch Phu » (homme de corvée), « Trạo Phu » ( batelier), « Thôn Phu » (homme de campagne), « Thất Phu » (rustaud), « Thất Phu – Thất Phụ » (le bas peuple, la populace), « Phàm Phu » (homme grossier), « Võ Phu » (homme rude, brute), « Phu Tử » (maître), « Phu Quân » (mari), « Phu Nhân » (épouse, épouse des personnalités), « Phu Thê 夫妻 » (les époux) [page 819] ;
– Il n’y a pas le mot « Sê » ;
– Il y a le mot « Su 㮲 » (un arbre) [page 923] ;
– Les mots « Thê妻 » (épouse), « Thê 悽» (chagrin), … [page 995].
4 – Dictionnaire Annamite-Français de J.F.M. Génibrel. Imprimerie de la Mission à Tân Định (2e Edition). Saigon, 1898.
Dans ce dictionnaire, il n’y a pas les trois termes «Bánh Su-Sê» ou « Bánh Phu-Thê ».
– Il y a le mot « Phu 夫 » (mari), avec plusieurs expressions, dont les deux mots « Phu Thê » (les époux)…[page 615] ;
– Le mot « Su 㮲 », avec quelques expressions comme « Su Si » (grossier, négligé), « Su Sơ » (à la légère), et « Cây Su » (arbre) [page 706] ;
– Le mot « Thê 妻 » (épouse) et les quelques expressions qui tournent autour de sens. [page 825].
5 – Dictionnaire Annamite-Français de Jean Bonet, Imprimerie Nationale, Paris, 1899.
Dans ce dictionnaire, il n’y a pas les trois termes « Bánh Su-Sê » ou « Bánh Phu-Thê ».
– Il y a le mot « Phu夫 » (aide, appui, homme viril, homme fait, mari, agent, gardien, employé (appellatif) (sic)). Dans cette rubrique, figurent les termes « Phu Phụ » 夫婦 et « Phu Thê » 夫妻 ( qui veulent dire mari et femme), ainsi que d’autres termes qui ne nous intéressent pas… [page 130, tome 2] ;
– Le mot « Su 㮲 » (Nom d’arbre ; pieu, pilotis) (sic) ;
– Le mot « Thê 妻 » (femme mariée, épouse) et une suite des mots « Thê », comme « Thê 悽 » (triste, chagrin, affligé; tristesse, mélancolie) (sic). « Thê 凄» (froid, glacial; hiver) (sic) ; « Thê 萋» (belle végétation, herbe luxuriante; touffu, épais; beaucoup, nombreux) (sic) ; « Thê 栖» (juché, perché, arlolé (sic) ( ?); demeurer provisoirement chez quelqu’un) (sic) ; « Thê 稀 » (grain entassé; grand nombre, chiffre très élevé : 1 Thê 稀 = cent millions) (sic). [page 272].
6 – Dictionnaire Annamite-Chinois-Français de Gustave Hue. Imprimerie Trung Hoà, 1937 (bien avant 1975).
Dans ce dictionnaire, il y a les trois mots «Bánh Sô-Sê» (gâteau) [page 843] mais les trois mots «Bánh Phu-Thê» n’y figurent pas !
Donc dans les dictionnaires anciens [Taberd (1838) et Gustave Hue (1937)], on trouve les trois mots «Bánh Sô Sê» mais les trois mots «Bánh Phu Thê» n’y figuraient pas.
II – Dans les mœurs, dans les protocoles de mariage.
Dans les ouvrages :
– Tục Ngữ Phong Dao ( Proverbes et Chansons populaires) de Ôn Như Nguyễn Văn Ngọc (Editeur Mặc Lâm. Yễm Yễm Thư Quán. Sàigòn. 1967),
– Việt Nam Phong Tục (Moeurs du Viêtnam) de Phan Kế Bính (Editeur Thành Phố Hồ Chí Minh, 1995),
– Một số Phong Tục Nghi Lễ Dân Gian Truyền Thống Việt Nam (Moeurs et Protocoles traditionnels du Viêtnam) de Quảng Tuệ (Editeur Văn Hóa Dân Tộc, Hànội, 2004),
– L’Indochine Moderne (Encyclopédie Administrative, Touristique, Artistique et Economique) de Eugène Teston et Maurice Percheron (Ingénieur E.S.N.A, Docteur ès-Sciences) (Editeur Librairie de France, Paris 1931),
– Connaissance du Viêt-Nam de Pierre Huard et Maurice Durand (Imprimerie Nationale, Paris 1954).
On ne trouve pas les trois mots «Bánh Phu-Thê» (gâteau Phu-Thê).
Donc la phrase «Il est inconcevable qu’il n’existe pas de gâteau «Phu Thê» dans les mariages » (PhunuNet.com. Thêm vào My Wikiphunu), citée plus haut est une invention pure et simple issue d’une imagination fertile mais dénuée de toute réalité des auteurs amateurs. Dans les livres précités, on décrit en détail des « Tơ Hồng » (cérémonie des Fils rouges / symbole de l’Union), « Nguyệt-Lão » (Le vieillard de la Lune / Dieu du Mariage), « Hợp Cẩn » (Cérémonie de la première nuit de Noces), et surtout les «Trầu Cau» (Le Bétel et les Noix d’Arec).
Des milliers de proverbes et de chansons populaires parlent du « Bétel » et de la « Noix d’Arec » pour faire allusion au mariage, mais jamais des gâteaux « Su-Sê » ou « Phu-Thê » !
Je me répète : avant l’année 1962, j’ai assisté à plusieurs mariages à Huê où il n’y avait pas de gâteau «Su-Sê» (ou « Phu-Thê » comme disent les internautes amateurs, après l’année 1975) !
III – Dans les dictionnaires récents (après l’année 1975).
1) Les dictionnaires en caractères démotiques sino-vietnamiens.
– Đại Tự Điển Chữ Nôm (Grand Dictionnaire de Caractères démotiques sino-vietnamiens) de Vũ Văn Kính (Editeur Văn Nghệ TP. Hồ Chí Minh. Trung tâm nghiên cứu Quốc Học, 1999). Vũ Văn Kính a fait ce dictionnaire bien avant l’année 1975, sous forme de ronéo.
Dans ce dictionnaire, on retrouve bien les mots « bánh Su Sê » (bánh Su-Sê ? 㮲 捿), associés au mot « Sê » [page 1215] et au mot « Su » [page 1237], mais on ne trouve pas les mots « bánh Phu Thê ».
– Đại Tự Điển Chữ Nôm (Grand Dictionnaire de Caractères démotiques sino-vietnamiens, en 2 volumes) de Lê Quý Ngưu, Trương Đình Tín, Editeur Thuân Hoa, Huê, 2007 (bien après 1975).
Dans ce dictionnaire, il y a les mots « Phu Thê » ou « Su Sê » 夫妻 [page 559].
Mais d’après monsieur Lê Thanh S. spécialiste du Nôm (démotique sino-vietnamien) à la Sorbonne, Paris, cette conclusion provient d’une décision arbitraire des deux auteurs, influencés par la culture venant du Nord Viêtnam après l’année 1975 ou par le dictionnaire d’orthographe de Lê Ngọc Trụ, car ils ne citent aucune référence bibliographique.
– Từ Điển Chữ Nôm Trích Dẫn (Dictionnaire de caractères démotiques sino-vietnamiens, avec des citations d’oeuvres anciennes), édité par l’Institut d’études vietnamiennes, California, USA, 2009.
Dans ce dictionnaire, on ne trouve pas les mots « bánh Su Sê » ou « bánh Phu Thê ».
2) Les dictionnaires en vietnamien.
– Đại Từ Điển Tiếng Việt (Grand dictionnaire vietnamien) de Nguyễn Như Ý. Editeur NhàVăn Hóa Thông Tin. Hànội, 1999. (1999 est bien après 1975).
Dans ce dictionnaire on trouve les mots « Bánh Phu-Thê », spécialité de Huê, à base de farine de manioc, de couleur à peine transparente [page 104]. Et aussi les mots « Bánh Su-Sê » à base de farine de riz gluant, de couleur ambre jaune (hổ phách), très loin de l’origine du « Bánh Su -Sê » de Huế [page 1464]. Donc dans ce dictionnaire, il y a deux sortes de gâteaux le « Phu-Thê » et le « Su-Sê ».
– Dictionnaire Vietnamiên-Français de Lê Khả Kế , 5e réédition, Editeur Thành Phố Hồ Chí Minh, 2001.
Dans ce dictionnaire on trouve les mots « Phu Thê » : entre mari et femme; conjugal (sic) [page 783].
Et les mots « Su-Sê » : gâteau de pâte de riz couleur d’ambre (sic) (qui n’est pas conforme à son origine) [page 870].
Il n’y a pas les trois mots «Bánh Phu Thê».
Dans cette première partie, on se rend compte que le gâteau «Su-Sê» figurait bien avant le gâteau «Phu-Thê» (qui, lui, est très probablement apparu après l’année 1975) dans la culture populaire.
Le linguiste Nguyễn Cung Thông, qui a eu l’amabilité de me fournir trois documents qui montrent que le «Bánh Su-Sê» est apparu avant le « Bánh Phu-Thê », partage aussi mon opinion.
2ème partie : Le Dictionnaire d’orthographe vietnamienne (Việt Ngữ Chánh Tả Tự Vị – VNCTTV) de Lê Ngọc Trụ, Editeur Khai Trí, Saigon, 1961 et réédité plusieurs fois.
En vietnamien, nous avons six tons, représentés par des signes figurés au-dessus des voyelles, comme par exemple : a, à, á, ạ, ả, ã, et des phonèmes « d, gi, nh », « d, r », « tr, gi », « s, x » se plaçant devant un mot ou les « c, t », « n, ng » figurant à la fin d’un mot qui se prononcent différemment.
Cependant, il n’y a qu’une une petite partie des vietnamiens de l’ancien Hanoï et de ses environs qui prononce correctement ces six tons et phonèmes, ce qui correspond à peu près à 1% de la population totale du pays. Dans les autres régions, nous n’avons que quatre ou au mieux cinq tons. Et les phonèmes cités plus haut se prononcent presque pareillement. Donc pour écrire correctement, sans fautes d’orthographe, les vietnamiens ont besoin du Dictionnaire d’orthographe du professeur Lê Ngọc Trụ et ce qui est remarquable, c’est que Lê Ngọc Trụ était un homme du Sud (Saïgon). Naturellement les vietnamiens peuvent également consulter d’autres bons dictionnaires.
Par exemple le mot « Củ » qui veut dire « tubercule » et le mot « Cũ » qui signifie « ancien / vieux », sont prononcés de façon identique par les habitant de plusieurs régions. S’ils veulent parler de quelque chose d’ancien, ils diront « Củ ». Ce sera une faute d’orthographe. C’est le même cas pour le mot « Đan » qui signifie « tricoter » et « Đang » qui veut dire « en train de ».
Personnellement, je prononce pareillement les deux mots « Củ » et « Cũ » ainsi que les deux mots « Đan » et « Đang ».
Notons, en passant, qu’il y a actuellement, à peu près, moins de 8% de vrais Hanoïens par rapport à l’époque précédant le traité de Genève de 1954 ; un peu plus de 10% de Huêens et de Saïgonais à Huê et à Saïgon, par rapport à l’époque précédant 1975. Et l’orthographe est un très grave problème pour l’écriture de notre langue. Même les journalistes font encore beaucoup de fautes d’orthographe. A plus forte raison, le commun des mortels en fait davantage. Et, actuellement le Viêtnam n’a pas encore d’Académie qui pourrait fixer les règles de notre langue.
Un mot sur le Professeur Lê Ngọc Trụ. C’était un excellent autodidacte. Il connaissait parfaitement le chinois. Dans les années 1956-1957, l’Université de Saïgon manquait de professeurs de vietnamien, le président Ngô Đình Diệm a demandé au Conseil des Professeurs de l’Université de Saïgon d’étudier le cas de monsieur Lê Ngọc Trụ, pour voir s’il pouvait enseigner le vietnamien à l’université. Le Conseil, après avoir testé ses connaissances, lui a accordé, à l’unanimité, le Doctorat d’Etat ès-Lettres. C’est ainsi qu’il devint Professeur d’Université (Il y eut d’ailleurs quatre ou cinq cas semblables). Ce professeur a formé des milliers d’excellents étudiants diplômés.
Cependant, cet éminent professeur considérait que la quasi-totalité des mots vietnamiens provenaient du chinois. Citons en exemple une dizaine de mots contestés par le docteur Nguyễn Hy Vọng, lequel avait mis plus de vingt ans à étudier la langue vietnamienne, ainsi que les cinquante-sept autres langues austro-asiatiques. Il a publié le Từ Điển Nguồn Gốc Tiếng Việt (Dictionnaire Cognatique Vietnamien – DCV) en trois volumes, en 2012, aux USA.
I – Quelques exemples des mots donnés par le Dictionnaire d’orthographe du professeur Lê Ngọc Trụ.
1) Tết et Tiết 節 [VNCTTV page 451].
Tết (mot vietnamien) vient du caractère chinois 節 Tiết, prononciation en sino-vietnamien et jié en pinyin.
On voit que les prononciations de ces deux mots « Tết » et « Tiết » sont très proche l’une de l’autre, cependant leur sens sont différents.
Tết, en vietnamien signifie « fête », mais le caractère chinois 節 (Tiết en sino-vietnamien) veut dire « période climatique » ou aussi « fête » (peu utilisé). Donc le mot Tết ne peut pas provenir du caractère chinois 節 Tiết. En outre même Confucius ne connaissait pas le mot Tết. Pour lui, ce mot désigne « un jour de fête » pendant lequel les « sauvages » du sud chantaient et dansaient. Et toujours, selon lui, ces « sauvages » appelaient ce jour 祭 蜡 (Tế Xạ, prononciation en sino-vietnamien) [DCV page 1771].
Pour désigner le mot « Fête », les autres peuples de l’Asie du Sud-Est ont utilisé les termes suivants, très proches de la prononciation du mot « Tết » en vietnamien (ces termes sont transcrits ici phonétiquement) :
– Pour les Nùngs : Tết. (fête)
– Les Hmongs : Thết. (idem)
– Les Thaï(landais) : Thêt. (idem)
– Les Champa : Tít, ou Chêt. (idem)
– Les Mon : Kteh. (idem)
– Les Khmers : Chêtr. (idem)
– Les Indous : Chetr. (idem)
– Les Népalais : Teej. (idem)
– les Mustang : Tidj. (idem)
…. [DCV pages 1770-1771]
2) Gấp et Cấp 急 [VNCTTV page 186].
Gấp (mot vietnamien) vient du caractère chinois 急 Cấp (prononciation en sino-vietnamien) et jí en pinyin.
Ces deux mots ont le même sens: « urgence, en hâte, hâtif » mais n’ont pas la même prononciation.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Malaysiens : Gapah. (urgence, …)
– Les Thaï(landais) : Khu-ấp/khấp. (idem)
– Les Khmers : Hi- ấp. (idem)
– Les Laotiens : Hấp. (idem)
– Les Champa : H-gấp. (idem)
…. [DCV page 460].
3) Giành et Tranh 爭 [VNCTTV page 112].
Giành (mot vietnamien) vient du caractère chinois 爭 Tranh (en sino-vietnamien) et jìng en pinyin.
Ces deux mots ont le même sens : « se disputer, entrer en compétition, s’emparer de », mais n’ont pas la même prononciation.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Nung : Cheng. (disputer, …)
– Les Hmongs : Chèng. (idem)
– Les Thaï(landais) : Pr-chành. (idem)
– Les Mon : K-giành. (idem)
– Les Khmers : Pr-chèng. (idem)
– Les Indonésiens: Saing. (idem)
…. [DCV page 499].
4) Giêng et Chính 正 [VNCTTV page 133].
Giêng (mot vietnamien) vient du caractère chinois 正 Chính/Chánh en sino-vietnamien et zhèng en pinyin.
Giêng acoompagné du mot Tháng (mois), « Tháng Giêng » veut dire « le premier mois du calendrier luno-solaire », et le caractère chinois Chính/Chánh 正 signifie « principal, droit, honnête ».
Chính/Chánh nguyệt 正月(月 nguyệt : mois) en sino-vietnamien veut dire « mois principal de l’année » (premier mois de l’année).
Ces deux mots n’ont pas la même prononciation et ni le même sens.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est, le « 1er mois » se dit (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Thaï(landais) : (đươn, mois) Chiêng/Kiêng. (1er mois)
– Les Nung : (hươn, mois) Chiêng. (idem)
– Les Laotiens : (đươn, mois) Giêng. (idem)
– Les Champa : (bulăn, mois) Đhia. (idem)
– Les Birmans : A-Yiêng. (en premier, d’abord)
– En Pali/Sanskrit : Yir. (idem)
5) Giềng [-mối] et Cương 綱 [VNCTTV page 133].
Giềng (mot vietnamien) vient du caractère chinois 綱 Cương en sino-vietnamien et gāng en pinyin.
Giềng accompagné du mot « mối ». Giềng-mối veut dire « coutumes, habitudes de vie, pratiques de transactions ». Le caractère chinois Cương 綱 a à peu près le même sens « acte constitutif », mais les prononciations ne sont pas les mêmes.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Thaï(landais) : Yiềng/Jiêng. (modèle, style)
– Les Khmers : Riềng. (forme, modèle, style)
– Les Laotiens : Yiềng. (arranger)
…. [DCV page 514].
6) Giống et Chủng 種 [VNCTTV page 142].
Giống (mot vietnamien) vient du caractère chinois 種 Chủng en sino-vietnamien et zhǒng en pinyin.
Ces deux mots ont à peu près le même sens: «semblable, espèce, genre, race, graine », mais ils n’ont pas la même prononciation.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Hmongs : T-zống. (espèce, genre, race)
– Les Thaï(landais) : Kh-yong (idem)
– Les Khmers : Giung. (idem)
– Les Mon : Jông. (idem)
…. [DCV page 525]
7) Giấy et Chỉ 紙 [VNCTTV page 120].
Giấy (mot vietnamien) vient du caractère chinois 紙 Chỉ en sino-vietnamien et zhǐ en pinyin.
Giấy veut dire « papier » en vietnamien et 紙 Chỉ signifie « papier » en chinois. Mais les deux prononciations sont très différentes.
Pour les autres peuples d’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Pour les Nung : Chỉa. (papier)
– Les Hmongs : K-chấy. (idem)
– Les Birmans : S-giuếy. (idem)
…. [DCV page 512]
8) Chài et Tại 載 [VNCTTV page 51].
Chài (mot vietnamien) vient du caractère chinois 載 Tại en sino-vietnamien, et zài en pinyin.
Chài en vietnamien veut dire « filet de pêche, épervier, tramail, carrelet de pêche, jeter l’épervier, jeter un sort, envouter, captiver quelqu’un par des paroles doucereuses », par contre le caractère chinois 載 Tại/Tái en sino-vietnamien, signifie « moyens de transport (véhicules, navires…) », donc ces deux mots n’ont pas le même sens et ni la même prononciation.
Pour les autres peuples d’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Pali/Sanskrit/Thai : Chal. (épervier pour la pêche)
– Les Champa : Chal. (idem)
– Les Laotiens : Chal. (idem)
– Les Indonésiens : Jala. (idem)
…. [DCV page 227].
9) Xương et Khang 腔 [VNCTTV page 438].
Xương (mot vietnamien) vient du caractère chinois 腔 Khang en sino-vietnamien et qiāng en pinyin.
Ces deux mots ont à peu près le même sens, « les os », mais leur prononciation n’est pas la même.
Pour les autres peuples de l’Asie du Sud-Est (termes transcrits ici phonétiquement) :
– Les Hmongs : X-âng. (les os)
– Les Nung : Xang. (idem)
– Les Khmers : X-ưang. (idem)
– Les Bahnar : X-ang. (idem)
– Les Sedang : K-xiang. (idem)
– Les Rengao : K-xâng. (idem)
…. [DCV page 2199].
Pour le Professeur, les deux termes vietnamiens «ăn năn» qui se traduisent par « se repentir, avoir des remords, être contrit » viennent des termes chinois « ân hận 慇恨», qui ont le même sens : «se repentir » (Voir VNCTTV page 5), et dans cette « logique », pourquoi ne pas affirmer que le mot vietnamien «đo» (mesurer, doser), prononcé, à peu près, « dor », vient du mot français « doser », car ils ont le même sens et à peu près la même prononciation ?
Et si l’on parle des mots vietnamiens «Tai (oreille)» (prononcé taï), «mắt (œil)» (prononcé mac), « ăn (manger) » (prononcé en), « đi (aller) » (prononcé di), …, ces mots viennent-ils respectivement du chinois : oreille « 耳 Nhĩ (prononciation en sino-vietnamien et ěr en pinyin) », œil « 目 Mục (prononciation en sino-vietnamien et mù en pinyin) », manger « 食 Thực (prononciation en sino-vietnamien et shi/si en pinyin) », aller « 走 Tẩu (prononciation en sino-vietnamien et qù en pinyin) » ? …
La plupart des mots français viennent du Latin ou du Grec, mais les mots français suivants viennent-ils du Latin ? « abandon » qui en latin, se dit « dēsertĭo », « abonner » qui en latin, se dit « subscribe », ou « achever » qui se dit en latin « consummavi » ? … (Voir Dictionnaire Le Nouveau Petit Larousse 1968).
Sans vouloir sous-estimer les connaissances ni les compétences du professeur Lê Ngọc Trụ, qui fait partie des professeurs éminents et estimés, et qui est un excellent professeur de Littérature vietnamienne, et d’Orthographe, je trouve qu’il fait trop systématiquement dériver presque tous les mots vietnamiens du chinois. Ainsi, d’après lui, les trois mots vietnamiens « Bánh Su-Sê ou Sô-Sê » (un gâteau spécifique de Huê) proviennent des mots chinois «Phu Thê Bỉnh (sic) Bính ( ?) 夫妻餅 » qui s’appelle « gâteau mari et femme ». [VNCTTV page 427].
De là et probablement, depuis une vingtaine d’années, après 1975, certaines personnes venant du Nord Viêtnam préfèrent utiliser des mots chinois, souvent faux, ou mal employés à la place des mots vietnamiens pour montrer qu’ils sont issus de la classe des « intellectuels » (voir Ngôn Ngữ Ngậm Ngùi ou « s’apitoyer sur notre langue» en français, de Lê Hữu, disponible sur Internet) et en conséquence, ils prennent la liberté de changer les deux mots « Su-Sê » en « Phu-Thê », (comme en France, certains veulent utiliser les expressions latines à la place de celles du Français). Pire encore, ils ont affirmé que la presque totalité des gens de Huê utilisent bien son vrai nom «Phu Thê »*, alors que les vrais anciens Huêens d’avant 1975, ne connaissaient même pas le « Bánh Phu-Thê ».
Et si l’on se laisse entraîner par cette tendance, les deux mots « Cơm Hến » (plat spécifique de Huê) deviendront un jour les mots chinois «Cao Hứng 高 興, avoir de l’inspiration », (cao hứng est la prononciation en sino-vietnamien et gāo xìng en pinyin), car ces deux mots ont à peu près la même sonorité, mais certainement pas la même signification.
Nguyễn Vĩnh-Tráng
Eté 2018
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* 1) On parle aussi du gâteau « Phu-Thê » provenant du village de Đình Bảng. C’est sans doute une spécialité régionale, mais qui reste très limitée sans aucune portée nationale avant 1975.
2) D’après les «anciens », dans les années 1960, les chinois de Cholon avaient inventé le «Phu-Thê Bính », gâteau à base de farine de blé. Mais ce gâteau est grillé et non cuit à la vapeur, et enveloppé dans du papier huilé et coloré, et vendu par couple lors des mariages.
3) En Thaïlande, il existe un gâteau Khanom Sod-Sai/Sord-Sai (ขนมสอดไส) (khanom : gâteau ; Sod-Sai/Sord-Sai, prononcé « Xô Xê »), dont la recette est presque identique à celle du gâteau « Su-Sê », mais enveloppé dans des feuilles de bananier (Voir : Salee Thai Food Recipe, sur Internet). Cette information est mentionnée à titre indicatif et je ne m’étendrai pas sur le sujet.